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La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience

le 14/12/2018

En parallèle du séminaire du Comité Local en Santé Mentale de Nantes, le 16 novembre 2018, sur le thème de la réhabilitation sociale, le directeur de La Clinique du Parc, Jean-Yves Piton et l’instructrice en pleine conscience Catherine Muzellec, reviennent pour nous, sur le rôle qu’a joué la Clinique du Parc dans la mise en place en France, du programme MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy), ou Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience. Ils nous parlent de ses bienfaits et des conditions nécessaires pour que ce type d’intervention se développe de façon pérenne.

Pourquoi ce programme de prévention de la rechute dépressive ?

Catherine Muzellec (CM) : Guido BONDOLFI, psychiatre aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), présente ainsi le contexte dans lequel ces pratiques ont vu le jour : “Un des principaux aspects cliniques de la dépression est son caractère récurrent. Après un premier épisode dépressif, plus d’un patient sur deux en vivra un deuxième ainsi le taux de rechute augmente après chaque décompensation. Le meilleur prédicteur du risque de rechute est d’ailleurs le nombre d’épisodes antérieurs. Des stratégies de prévention des rechutes devraient systématiquement être proposées lors de la prise en charge d’un épisode dépressif (traitement pharmacologique pour l’épisode aigu et la rémission, puis introduction thérapeutiques non médicamenteuses) Parmi ces stratégies, la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience MBCT est une intervention de groupe conçue expressément pour la prévention des récidives dépressives. Cette approche s’est montrée particulièrement efficace pour les sujets ayant vécu un nombre égal ou supérieur à trois épisodes dépressifs préalables.” Mindfulness et dépression - SANTÉ MENTALE - n° 147- Avril 2010

Comment le programme MBCT a-t-il été mis en place ?

CM : Un psychiatre de la clinique, le Dr David VERGNAUX, est venu me voir, parce qu’il savait que je faisais de la relaxation. En parallèle, je me formais à la MBCT, j’en ai profité pour lui annoncer que je souhaitais m’orienter vers la pleine conscience. En effet, les résultats sur les patients étaient beaucoup plus probants. Le directeur de la clinique a tout de suite vu le potentiel de ces pratiques, a compris que c’était une nouvelle orientation, et a eu envie de me soutenir. 

Jean-Yves Piton (JYP) : Je tiens à rappeler le rôle de pionnier que joue la Clinique du Parc dans la mise en place de ces pratiques. La première phase a débuté en 2007, avec les ateliers d’initiation, réservés aux patients hospitalisés.

En quoi consistent les ateliers ?

Programme MBCT : salleCe sont des séances de 50 minutes, 2 fois par semaine, durant lesquelles Catherine Muzellec propose aux patients d’expérimenter de simples pratiques de pleine conscience. Il s’agit de démystifier un peu cette forme de méditation, et qu’ils commencent à en apercevoir les bienfaits. 

CM : Les médecins ont rapidement remarqué un changement auprès des patients, après la mise en place des ateliers. Ils constataient une mobilisation, une redynamisation assez inédite chez les participants à l’atelier. Ils semblaient réapprendre à s’écouter vraiment, à fonder leur réflexion sur leur propre expérience. Ils restaient moins longtemps à ruminer et disaient avoir reçu de nouveaux moyens pour solliciter leurs ressources internes. 

Quand avez-vous mis en place le programme MBCT pour les patients en prise en charge de jour ?

JYP : En 2010. La mise en place n’existait nulle part ailleurs en France. Il a fallu trouver le modèle organisationnel et bien sûr, économique pour pouvoir le prendre en charge. Ça a été une recherche, beaucoup de réflexion, de concertation entre tous les acteurs. Petit à petit le modèle actuel a vu le jour. Aujourd’hui nous avons le recul et l’expérience nécessaire au bon déroulement de ce type de programme. Nous sommes le 1er établissement privé en France à l’avoir fait. Il y avait l’hôpital Sainte-Anne à l’époque, Christophe André proposait lui aussi des MBCT. 

Comment cela se passe-t-il pour les patients ?

Une fois sortis d’hospitalisation, ils rencontrent les médecins psychiatres lors de 2 entretiens préalables à l’inclusion dans le dispositif. Le but de ces entrevues est de poser les bases avec les futurs participants pour : 

  • Connaître les facteurs associés au déclenchement et au maintien de leur dépression ou de l’anxiété présente ou non au moment de l’entretien,
  • Explorer, avec chaque participant, en quoi le programme peut l’aider,
  • Insister sur le fait que la MBCT demande un réel engagement pour soutenir quotidiennement des pratiques à domicile,
  • Déterminer la pertinence du projet de soin à ce moment pour la personne, dans l’environnement qui est le sien.

Ensuite ?

CM : Le patient est alors inscrit à la réunion d’intégration, qui lui permettra de :

  • rencontrer l’instructrice, pour qu’elle explique la façon de considérer les aspects de la dépression sur lesquels les participants vont travailler. Le protocole est alors détaillé.
  • S’inscrire au groupe ; le mardi matin, ou bien, pour les patients en activité, le samedi matin.
  • Élaborer les prémices de son projet personnel.

Programme MBCT : matérielCM : Le programme est constitué d’une séance d’intégration donc et de 8 séances en demi journées ainsi que d’une séance sur une journée. Les participants pourront y partager un repas en PC et expérimenter moment après moment, ce que signifie intégrer la pratique au quotidien. Nous proposons aussi des séances de suivi régulier pour entretenir et soutenir sa motivation. Nous avons commencé à recevoir des retours écrits de la part des patients, c’était troublant. Les témoignages étaient complètements différents de ceux délivrés par des patients uniquement traités par thérapeutique médicamenteuse. Je me souviens d’un témoignage où les participants disaient avoir chacun escaladé son « Mont Everest de la dépression » pendant le MBCT. Un patient écrivait : “J’avais peur que toutes les tentatives loupées avant ne se retournent contre moi. Mais en fait, le programme m’a aidé aussi à sortir de l’isolement vécu sur de « l’île de la dépression », il m’a aidé à envisager une autre vie possible… d’arrêter de me gâcher la vue.” 

JYP : La finalité du programme consiste à empêcher la rechute dépressive, à identifier les signes avant-coureurs. Grâce au MBCT, on apprend à mieux se connaître, sans jugement, à repérer quand ça commence à aller mal. Et ainsi utiliser des moyens qui sont donnés très concrètement, à la fois et très individuellement et aussi collectivement : les bons moyens pour revenir sur le chemin d’un soutien à soi-même !

Quels sont ces moyens ?

CM : D’abord par la pratique méditative, ensuite il y a l’utilisation d’actions particulières, qu’on mettra en place lorsque les signes de la rechute dépressives seront remarqués, très tôt, le plus tôt possible c’est à dire, dès leur apparition. Chaque patient  apprend à les découvrir et à les connaître bien. Ce programme est assez personnalisé au final. Les participants expérimentent et décident quelles sont les actions qu’ils sont en mesure de poser pour ne plus déprimer. La pratique méditative quotidienne les aide à se connaître, et aussi à prendre soin des états émotionnels compliqués. Des pratiques plus informelles, comme les « 3 minutes espace respiration » tout au long de la journée donnent l’occasion de vérifier l’état intérieur et de ré-ouvrir l’attention si la tendance est de la resserrer. Car ce que l’on constate, c’est que quand une personne déprime, son attention se limite au sujet seul de ce qui la fait souffrir. Ainsi, si elle a des relations difficiles, elle va faire tourner en boucle le sujet de ses relations, les dialogues intérieurs vont se visiter et se revisiter en boucle. Après le programme, elle sait que si ça tourne sans cesse, c’est que quelque chose ne va pas. Elle appliquera alors une méthode pour ré-ouvrir son attention sur tout le champ de l’expérience du moment présent. C’est à dire voir, vraiment, entendre vraiment, sentir vraiment avec tout le corps et pas seulement penser au sujet qui l’obsède… En quelque sorte, son fonctionnement neuronal ne se limite plus à un seul champ d’expérience. Ce que l’on nomme pleine conscience est une qualité particulière d’attention portée délibérément à l’instant présent, et qui ouvre à tout ce qui se passe sans jugement de valeur sur l‘expérience en cours. Et ça c’est extrêmement aidant pour quelqu’un qui s’enferme dans un monologue intérieur qui peut être très toxique.

Vous sentez qu’il y a un éveil autour de la pleine conscience ?

Programme MBCT : techniquesCM : Oui c’est très clair et bénéfique, mais il y a du risque aussi. Essentiellement si les institutions veulent aller trop vite. Il ne faudrait pas croire que la pleine conscience est une technique comme une autre… Qu’il suffit de vouloir se l’approprier pour qu’elle révèle ses avantages. Pour qui souhaite garantir des soins de qualité, la priorité de la formation sérieuse de l’instructeur est la condition première. L’art de la pleine conscience est assez subtil, et assez complexe. Cela demande de la qualification, de l’étude et de la pratique ! Avant d’instruire, s’assoir régulièrement sur un coussin de méditation n’est pas facultatif, comme semble le faire croire les organismes de formation qui proposent aujourd’hui des séminaires qui n’ont de qualifiant que le nom tant ils sont éloignés de la source qui a donné naissance à ces pratiques ancestrales. Le risque est grand de voir se déliter la puissance inhérente à l’utilisation raisonnée de la pleine conscience. Cette efficacité est démontrée quand les conditions nécessaires à son déploiement sont respectées. Si un instructeur ne pratique pas, des études le démontrent, il n’y a que très peu d’efficacité au process. Et ça, on oublie souvent de le dire. Il y a un vrai message de rigueur à faire passer, pour que la pleine conscience garde son potentiel de soin. 

Comment prévenir ce danger ?

JYP : À la Clinique du Parc, établissement du groupe Ramsay Générale de Santé, nous pensons que cela résulte d’une vraie culture. C’est une culture d’entreprise : 3 de nos médecins psychiatres ont suivi les programmes, en tant que directeur j’en ai suivis 2 : le MBCT et le MBSR sur la réduction du stress. Deux de nos infirmières ont suivi le MBCT, les soignants ont la possibilité de venir aux ateliers d’initiation avec les patients pour voir ce dont il est question. Vraiment, c’est une culture. 

CM : Une culture du soin qui change un peu la donne, puisque l’on soutient avant tout les ressources internes des patients, eux-mêmes, afin qu’ils prennent soin de la part de souffrance qu’ils peuvent apprendre à écouter et à bercer. Et ça c’est une façon quelque peu différente de considérer le soin en psychiatrie, rendre le patient vraiment compétent avec lui-même. Lui montrer le chemin vers son intériorité et apprivoiser comment s’y orienter avec bienveillance. Si nous savons être patient, nous former sérieusement, comprendre et intégrer l’importance de changer nos représentations, cette évolution du soin en psychiatrie viendra compléter les moyens mis en œuvre. Nos médecins ont bien voulu faire ce pas en avant, les soignants autour aussi, la direction les a accompagnés, c’est donc un vrai changement de fond. Nous souhaitons ici honorer ce beau travail d’équipe.